The Diary of Nathan Adler (2)

Examinons la façon dont Nathan Adler rédige son journal « non-linéaire ».

Tout commence le 31 décembre 1999, à 5h47, par la dissection de la victime, « Baby Grace ». Il ne s'agira pas, comme dans une enquête classique, d'un examen effectué à la morgue ou au sein d'une unité médicale par la police scientifique, mais d'un démembrement effectué très professionnellement, en vue d'exposer certaines parties du corps dans le hall du « Museum of Modern Parts ».
David Bowie nous entraîne dans une fiction où, en 1999, de telles pratiques sont parfaitement légales et où le détective Nathan Adler travaille pour »Art-Crime Inc. » 1 Détail intéressant, cette entreprise est financée par un organisme de soutien aux Arts. Ce décalage avec notre réalité est renforcé par la remarque de Nathan Adler : l'enquête criminelle elle-même fait partie du registre artistique amenant à exposer un cadavre issu d'un meurtre. A partir de là, soutenir financièrement une enquête criminelle est digne d'intérêt pour l' « Arts Protectorate of London ».
Un aspect relevant de la science-fiction apparaît aussi dès ce premier extrait du journal. Aux membres exposés dans le musée sont associés des haut-parleurs qui donnent à entendre, tels des haïkus, des petits éléments de mémoire de la personne morte, obtenus après un procédé d'activation chimique. On s'en doute, ces mémoires sont des plus sordides, et viennent amplifier avec des mots le résultat macabre du meurtre, étalé selon un dispositif artistique. David Bowie imagine sa présentation spatiale, devant la porte du musée, de façon que le visiteur soit « à la fois le donneur de sens et le gardien de l'acte » ( « as both signifier and guardian to the act » ). Se représenter un tel dispositif revient, à l'évidence, à vouloir associer le public, tant par sa présence physique que par son interprétation à la notion de « crime-en-tant-qu'art ». La subjectivité du détective Nathan Adler commence à émerger par cette fin de phrase pour s'affirmer dans la suivante : « Définitivement, il s'agissait de meurtre – mais était-ce de l'art ? » ( « It was definitely murder - but was it art ? «  ). On sent en arrière-plan une réflexion sur l'art, qui ne sera pas développée intellectuellement, mais esquissée au travers de cette fiction de l'enquête sur un « art-crime ». Avant la fin du paragraphe, Nathan Adler fera référence aux œuvres bien réelles de Mark Tansey et de Damien Hirst, pour conclure : « L' art est une cour de ferme » ( « Art's a farmyard » ). Et de présenter son travail non pas comme celui de trouver un criminel, mais d'extraire des pépites d'un tas de fumier de cette ferme. Soit le travail d'un amateur d'art.

Toujours le 31 décembre 1999, à 10h15 cette fois, Nathan Adler nous retrace un mini-historique des performances d'art contemporain consistant en des mutilations ou des taxidermies d'animaux – tous les noms propres cités existant là aussi dans notre réalité. 2 Ce jusqu'à Ron Athey, objet du paragraphe suivant.

La date du 27 octobre 1994 est donc consacrée à Ron Athey. L'effet le plus surprenant n'est pas tant dans l'exposition clinique de la performance sordide que dans la réalité de tels actes artistiques, contemporains à l'écriture de Bowie.

De retour au 31 décembre 1999, à 10h30, Nathan Adler consomme une fumée « salée et acide », provenant du lieu du crime, avant de se rendre à son bureau de Soho pour travailler. L'intérêt profond du paragraphe tient à l'évocation de l'artiste Rothko, censé avoir occupé les locaux mêmes d' »Art-Crime », et à une auto-mutilation...qu'il aurait soigneusement évitée de mener à terme – la ramenant à une mise en scène. En fin de paragraphe, Rothko est qualifié de « penseur profond – l'avait toujours été » ( « Deep thinker. Always was. » ).
1 « Société privée du crime-comme-oeuvre-d'art »
2 Une référence à Bowie lui-même pourrait nous laisser croire qu'il a rencontré dans les bars berlinois un couple disposant de tout un attirail de chirurgie ( ? )