"Art-crime"



La notion d' »art-crime » a pour référence les performances avant-gardistes d'artistes tels Chris Burden, auquel Bowie fait référence dès 1977 dans l'album « 'Heroes' », dont le corps et sa mise en péril deviennent le support même de la médiatisation de leur oeuvre.
Chris Burden se fera enfermer dans un casier d'étudiant pendant cinq jours, crucifier sur une voiture lancée à pleine vitesse, et même tirer dessus, électrocuter.
Chez Damien Hirst, des cadavres d'animaux plongés dans du formol ont constitué le dispositif ayant contribué à sa renommée. Quant à Ron Athey, ses performances de body-art atteignent des extrêmes qui, cités par David Bowie dans son Journal de Nathan Adler, ne sont déjà plus de la fiction en 1994.
L' "art-crime" plonge ses racines dans des modes d'expression comme la littérature, avec Thomas de Quincey et son "Murder Considered as One of the Fine Arts" ("De l'assassinat considéré comme un des Beaux-Arts"), en 1827.

Au-delà de ce thème principal, « 1. Outside » est très marqué par l'envie de saisir l'air du temps - sans doute en perspective avec la fin du millénaire – et par extension le sens du moment présent, le sentiment de chaos immanent aux choses, à l'instant où elles adviennent.
A ce titre, Outside est emblématique, tout comme Hallo Spaceboy – sur un mode moins extatique et plus angoissé - ou No Control, où les inquiétudes suscitées par le chaos n'ont pas disparu mais s'expriment avec davantage de retenue.
On trouve aussi une réflexion en filigrane sur l'art – comme nous le développons dans notre essai – d'où la mort n'est pas absente.
De façon plus immédiate, cet air du temps du milieu des 90's amène souvent David Bowie à s'exprimer sur le retour du paganisme.

Il s'agira du thème explicite de la video de The Hearts Filthy Lesson ( alors que les paroles mettent en scène l'enquête de Nathan Adler et plusieurs protagonistes de l'histoire liée au meurtre de Baby Grace Blue ).
Nous y voyons des jeunes portant de nombreux piercings et tatouages, réunis dans une sorte d'atelier, se préparant à une performance artistique particulière.
Si on la regarde en détail, elle est composée de plusieurs scènes parallèles à celle de l'atelier et de nombreux éléments incohérents, tout cet ensemble se fondant dans la trame principale que Bowie s'attache à nous montrer, et dont toute l'habileté consiste à linéariser une série de fragments pour nous conduire à sa vision. En l’occurrence, il ne s'agit pas de message – comme il le dira plusieurs fois pendant la promotion de l'album – et les fragments et incohérences sont précisément là pour le justifier, mais plutôt d'une vision qu'il souhaite partager. 1
Restons-en, pour l'instant, à cette petite histoire répugnante, introduite par des visions de l'atelier sordide, de jeunes artistes affaiblis, d'insectes conservés dans du formol, du visage d'un Bowie fumant, accompagné d'un batteur mécanique désarticulé.
Certains s'affairent à répandre des couches de peinture, à plonger un mannequin dans un bain, puis à le scier, avant de le suspendre ou le pendre tout court à des systèmes de poulies auxquelles d'autres performers se hissent, s’agrippent.
Parallèlement, Bowie fait les mêmes choses : jouer avec le mannequin, le désarticuler, s'enduire d'un bain, tracer de la peinture sur son visage. Parfois, le mannequin est sans tête, parfois il la garde, parfois Bowie la met à l'envers sur le haut du corps. La peinture rouge ou le sang la recouvre parfois – de même que Bowie s'agite parfois sur scène avec un T-shirt rouge, de même que le mannequin charcuté par les jeunes artistes devient parfois presque entièrement rouge.
Ce mannequin, à de brefs moments, semble devenir vivant – alors que les vivants ont souvent des allures de zombies.



1 Quant au sens profond, nous prétendons qu'il faut délinéariser la trame évidente pour en comprendre l'intention sous-jacente, consciente ou non.